mardi 18 août 2009

Affaire UBS : place à la guerre de l'information


Ce qui avait commencé comme une affaire juridico-politico-financière prend une tournure plus insidieuse, au fur et à mesure que les États-Unis et la Suisse s'efforcent de faire valoir leurs prérogatives les uns par rapport à l'autre.
Je parle bien sûr du feuilleton UBS.
La banque suisse, première banque privée et deuxième établissement financier au monde, semble avoir trouvé un compromis avec les autorités fiscales américaines. Bien que les termes de l'accord ne soient pas encore révélés dans leur totalité - il n'est qu'une question de temps pour savoir quand ils le seront -, UBS a accepté de livrer 5 000 noms. On ignore sur quels critères, mais le New York Times/International Herald Tribune rapportait les propos d'un avocat des défenseurs selon lesquels il s'agirait de ceux dont les comptes dépasseraient 1 million de dollars US.

Les récents évènements semblent accréditer cette thèse : un des fraudeurs, originaire de Californie, ayant accepté de plaider coupable, a été jugé vendredi 14 août pour évasion fiscale par la Cour de District centrale de Californie. Bloomberg, société d'information financière, rapporte que le procès a donné lieu à des révélations pour le moins tonitruantes sur la politique de la banque suisse aux Etats-Unis.
Je me suis rendu sur le site de la Cour, pour y trouver un communiqué de presse sur le jugement. Mais pas le jugement (il semble d'ailleurs qu'aucune décision ne soit publiée sur ce site. Je la recherche et j'essaie de vous donner le lien).
Le Monde se fait le rapporteur en français des tenants et aboutissants de la séance (ne vous fiez pas au link de l'article, par contre - il renvoie sur la mauvaise Cour).

En gros, le procès est un procès à charge contre UBS, décrivant tout un système savamment rôdé pour encourager les clients américains affluents à ouvrir des comptes dans les filiales étrangères d'UBS (dont celle de Hong-Kong, paradis fiscal retiré de la liste de l'OCDE au printemps dernier sous la pression de la Chine...). Ce faisant l'argent ne pouvait pas être suivi par le fisc aux États-Unis et ne pouvait donc pas être imposé.
La banque mettait à disposition de ses clients des avocats d'affaires suisses pour les conseiller sur les aspects juridiques de ces transferts.

Bon, ok, me direz-vous, et alors ?
Alors ? Mettons-nous du côté des défendeurs, UBS.
  1. La banque est poursuivie depuis février pour avoir été complice de fraude fiscale aux États-Unis.
  2. La banque est soumise à une pression juridique à l'origine, puis diplomatique et géopolitique depuis que Berne s'en est mêlé pour sauvegarder un concept considéré comme un principe de souveraineté helvétique : le secret bancaire.
  3. Dès lors, sur fond de crise économique mondiale et de tentative de régulation du système financier, UBS est partagée entre la volonté de ne pas empirer son cas en jouant à fond la carte de la conciliation et l'injonction de Berne qui ne veut pas voir un instrument de sa puissance mondiale partir en fumée.
  4. S'ensuit une intense période de négociation pendant quatre mois, entre l'Internal Revenue Service (le fisc américain), le Secrétariat d'État, le Department of Justice, UBS, le Ministère des Affaires Étrangères suisse, le Conseil Fédéral (le gouvernement suisse)... pour parvenir à un accord sur le sort des 52 000 noms réclamés par l'IRS à la banque.
  5. Parallèlement, une procédure judiciaire est ouverte entre les États-Unis et UBS à Miami, Floride.
  6. Le juge de ladite Cour - Alan Gold - reporte par deux fois le procès (fin juillet et début août) pour laisser le temps aux parties de trouver un accord.
  7. L'accord semble avoir été trouvé. La banque peut souffler.
  8. Un jugement en marge de l'affaire générale - mais où la banque était représentée, il est vrai - est rendu deux jours après l'annonce de l'accord. Il lui est donné fort renfort de publicité, et un client qui a accepté de plaider coupable en échange de la clémence du juge, dévoile les procédures discutables de la banque.

Résultat : les États-Unis marquent le point de la première manche.

Ce que je note, c'est que; par-delà l'aspect purement juridique et légal de l'affaire, les États-Unis n'ont pas négligé la publicité et la communication. Probablement pour faire montre de leur bonne foi - et concentrer les critiques sur une autre grande banque - pas américaine, cette fois. Cela porte atteinte à sa réputation, affaiblissant de facto sa position concurrentielle vis-à-vis de, disons, le secteur financier américain ? Et au passage porte un coup sévère à la réputation du "secret bancaire suisse". Cela n'est que supposition. Rappelons quand même que les établissements financiers américains ne sont pas dans la meilleure des situations et que la BNP a racheté Fortis Bank, la positionnant au rang de première banque européenne par le nombre de ses clients. Se pourrait-il qu'il y ait volonté de créer une compétition tendue dans le secteur bancaire en Europe ? Diviser les Européens - même si la Suisse ne fait pas partie de l'UE - pour conserver une place de leader mondial de la finance ?...

Les États-Unis ont produit un intense effort sur de nombreux fronts - politique, juridique, médiatique... - comme s'ils s'efforçaient de détourner l'attention de leur situation intérieure pour créer un autre foyer d'indignation étranger. Vous me direz : tout est indépendant, que la procédure judiciaire de Miami est différente de celle de Californie, que le juridique n'est pas le politique et pas le diplomatique. C'est vrai. Même quand la souveraineté et les intérêts perçus comme constitutifs de la puissance de la nation sont en jeu ?

Matthieu

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